Salomon Verveer: An afternoon at Katwijk-on-sea |
Trois peintres, trois frères, quasiment oubliés de nos jours, mais internationalement célèbres en leur temps, au 19e siècle, viennent d’être redécouverts. Trois artistes juifs en plus, ce qui fut assez rare à l’époque. Le Musée Historique Juif(Joods Historisch Museum, JHM) leur consacre une belleexposition, à ces frères Verveer : Salomon, Maurits et Elchanon. Un aspect intéressant de leurs carrières est qu’ils doivent leur succès largement à la France et à la Belgique. Ils exposaient aux Expositions Universelles de Paris, à la Grande Exposition Nationale au Louvre, au Cercle Artistique et Littéraire à Bruxelles. Napoléon III fut un de leurs clients, comme le prince Philippe de Belgique, et d’ailleurs les rois néerlandais Willem II et Willem III. Bref, des carrières réussies. Et pourtant oubliés…
Rôle de la France
Comment la France a-t-elle pu contribuer à leur succès ? Cela a commencé bien avant leur naissance, avec l’occupation des Pays-Bas par les troupes françaises, en1791. Un des effets positifs de la Révolution française – et un de ses « produits d’exportation » – est, après la Déclaration universelle des Droits de l’homme, l’émancipation des Juifs, qui s’étend aux Juifs néerlandais en 1796. A partir de ce moment-là, toutes les professions sont – en théorie – ouvertes aux Juifs et, après la mise à fin des guildes en 1818, elles le sont aussi dans la pratique.
Une de ces professions dorénavant accessibles est celle d’artiste peintre. Il est remarquable que les trois frères Verveer aient choisi cette profession, comme l’est le fait que leurs parents, qui tenaient une maison de bonneterie, leur en aient laissé le loisir. Il faut dire qu’un de leurs voisins étaient le peintre Bartholomeüs van Hove, qui a pris l’aîné, Salomon (1813-1876), comme élève quand il venait juste de terminer l’école primaire. Salomon n’avait pas treize ans.
Salomon
Le succès ne s’est pas fait attendre. En 1832, âgé de 19 ans, Salomon a débuté à la Tentoonstelling van Levende Meesters (« Exposition des Maîtres vivants »). Là encore, il a fallu la main d’un Français pour donner un coup de pouce. Cette « Exposition des Maîtres vivants » s’était créée à l’initiative du premier « Roi de Hollande » (et le seul à avoir jamais porté ce titre), Louis Bonaparte, frère de Napoléon, qui a beaucoup fait pour stimuler les arts dans « son » pays. CetteTentoonstelling devait devenir l’équivalent à Amsterdam de ce qu’était le Salon à Paris. Van Hove avait instruit le jeune Salomon dans le style classique. Enfant de son temps, il a évolué vers le romantisme, qui s’exprimait dans des paysages – souvent (partiellement) imaginaires, parfois appelés capriccios – et des scènes de ville, de préférence avec des cours d’eau, des bateaux, des châteaux, et puis des marchés, des scènes de la vie courante.
Deux genres de tableaux sont typiques de Salomon Verveer. D’une part, il est le premier à avoir peint des « Quartiers juifs », qui d’ailleurs avait un succès instantané. D’autres peintres, Juifs et non-Juifs, ont suivi son exemple en représentant des scènes de la vie juive. Par ailleurs, Salomon s’est attaché à peindre la vie du village de pêcheurs au nom imprononçable – pour les non-néerlandais – de Scheveningen, à présent incorporé dans la ville de La Haye. Les retours de pêche, les femmes de pêcheurs attendant leurs maris ou pleurant leur mort, la criée aux poissons, les dunes, les bateaux sur la plage…. Tous sujets que plus tard, les peintres del’Ecole de La Haye, inspirés par l’Ecole de Barbizon plus que par leur concitoyen aîné, choisiront à leur tour : la vie simple, quotidienne, romantisée et embellie si l’on veut, mais quand même la vie des plus humbles.
Les tableaux de Salomon Verveer se vendaient bien, et tous azimuts. Ses toiles s’exposaient au x Salons du monde entier, de Paris à Saint-Pétersbourg, de Munich à New York, de Glasgow à Vienne. Pas étonnant que bon nombre de ses œuvres soient dans des collections privées, un peu partout dans le monde. A la mort de Salomon, ses amis se cotise nt afin de lui construire un monument funéraire impressionnant, au cimetière juif de Scheveningen où le peintre fut enterré. La presse internationale publie des nécrologies. « Son nom sera inoubliable », écrit l’Algemeen Handelsblad. Hélas...
Maurits
Les frères cadets ont suivi des chemins légèrement différents. Maurits, le second (1817 – 1917) s’est surtout consacré à la photographie, après s’être essayé à la peinture, avec un succès nettement moindre que son frère aîné. A la fin de sa vie, il retourne à ses amours premières, sans doute surtout pour occuper ses vieux jours (il n’était pas particulièrement pauvre), mais Maurits s’est surtout fait un nom – ou un prénom – comme photographe. En particulier, il s’est révélé un portraitiste habile. Dans ce domaine, il était l’un des premiers – tant du point de vue chronologique qu’en ce qui concerne la réussite. Il a eu l’idée de se spécialiser dans un petit format (8 cm x 5,5 cm), appelé « carte de visite’, plus économique pour le client. Il utilisait ce format en particulier pour les portraits de personnages connus que le public pouvait donc acheter. Et des célébrités, il en fréquentait, ne serait-ce que parce que, comme ses frères, il était membre du Pulchri Studio, cercle d’artistes de La Haye, cofondé par son frère aîné et qui réunissait tout ce que La Haye avait de plus éminent dans le domaine de la peinture.
La réputation de Maurits Verveer était telle que même la famille royale se faisait photographier par lui et l’autorisait à s’intituler « Photographe de Leurs Majestés le Roi et la Reine des Pays-Bas ». C’est lui qui a fait les premiers portraits de la Princesse Wilhelmine, future Reine. C’étaient aussi ses derniers portraits royaux. Sexagénaire, Maurits Verveer était détrôné par des photographes nettement plus jeunes. En 1891, il décide de fermer son studio. Il s’est éteint en 1903 à l’âge vénérable de 85 ans, mais sa santé s’était beaucoup détériorée et les dernières années de sa vie étaient marquées par la souffrance.
Elchanon
C’est encore une autre voie qu’a suivi Elchanon (dit Conie), le cadet (1826 – 1890) des frères Verveer. Tout jeune, il a appris le métier de graveur. Il parfait sa formation à Bruxelles, chez le graveur Louis Huard, où il travaille huit mois avec son frère Maurits. C’est là qu’ils ont notamment gravé les illustrations du roman Le Juif errant, d’Eugène Sue. De retour à La Haye, il étend son champ au dessin et à la gravure originale, ne se contentant plus uniquement de reproduire les œuvres s’autrui. Petit à petit se manifeste son talent de caricaturiste. Durant un séjour à Paris, il réussit à faire publier des dessins dans le journal satirique Le Diogène, mais se précipite à La Haye quand son père se meurt, et il y reste.
Là, il fait des caricatures de ses amis peintres (notamment ceux de l’Ecole de La Haye), des illustrations pour divers livres, avant de se tourner vers la peinture dite de genre. Comme son frère aîné Salomon, il a donc fini par peindre la population du village de pêcheurs Scheveningen, à deux pas de chez eux. Mais l’époque n’était plus au romantisme et l'art d'Elchanon se rapproche déjà beaucoup plus de celui de l'Ecole de La Haye et des impressionnistes. Les scènes qu'ils peint sont surtout – mais pas uniquement – légères (des enfants jouant sur la plage, par exemple) et on y distingue encore la main du caricaturiste, qui sait camper un personnage typique, un pêcheur robuste ou au contraire usé par le travail, une gamine espiègle, une veuve éplorée. Ses toiles et, plus tard, ses aquarelles étaient très populaires ; ils obtenaient des prix et trouvaient facilement preneur, aussi bien à l’étranger que sans son pays. Tristement, la fin de sa vie était aussi marquée par la maladie que celle de son frère Maurits, qui pourtant lui a survécu de plusieurs années.
Vie sociale
Une dernière remarque sur leur appartenance à la communauté juive. Issus d’une famille ashkénaze établie à La Haye de longue date, ils observaient les rites religieux et fréquentaient la synagogue, mais sans être particulièrement pieux. Leur art est un art laïque et il est perçu comme tel ; si Salomon a peint des scènes de la vie juive, bien des peintres non-Juifs en ont fait autant. Parfaitement intégrés, les frères Verveer participaient à la vie sociale de La Haye en citoyens respectés, voire en notables de la ville, qui se trouvaient être juifs comme d’autres étaient protestants ou catholiques. Il faut dire que La Haye ne connaissait pas l’antisémitisme virulent de certaines villes allemandes ou françaises de l’époque. Le remarquable, c’est qu’il n’y a rien de remarquable – à un détail près. Les trois frères sont restés célibataires, tout comme leurs quatre sœurs (dont on ne sait quasiment rien par ailleurs). L’hypothèse qui a été avancée est qu’il devait être difficile en ces temps-là de trouver un(e) partenaire qui ait le même niveau d’intégration, de libéralisme et, en quelque sorte, de laïcité, tout en appartenant à la communauté juive – car les mariages mixtes n’étaient pas envisageables, pas encore. L’intégration – de part et d’autre – n’allait pas jusque-là.
JHM, Nieuwe Amstelstraat 1, 1011 PL Amsterdam (Google Maps). Haagse Meesters van de romantiek. De gebroeders Verveer herontdekt. Jusqu’au 1er novembre. L’exposition s’accompagne d’un beau livre/catalogue, en néerlandais.