Alain de Botton: l’art et la vie
Alain de Botton: l’art et la vie
On dirait des Post-it géants. Des carrés jaunes couverts de textes et apposés ça et là dans les salles du Rijksmuseum, tantôt auprès d’une toile, d’une sculpture, d’une estampe ou d’un meuble, tantôt à l’entrée d’une salle, y compris le grand hall central.
Impossible de les manquer, ces Post-it. On ne peut pas y échapper. Le visiteur non averti en sera surpris, d’autant plus s’il a manqué le premier de ces « Post-it », à l’entrée, justement, expliquant qu’il s’agit ici d’une exposition, L’art est thérapie.
Alors, qu’est-ce qu’on lit sur ces papiers jaunes ? A propos de La ruelle de Vermeer,
par exemple : « (…) Cette peinture veut nous montrer que l’ordinaire peut être tout à fait spécial. (…) Elle soutient qu’il suffit de faire les choses modestes que l’on attend de nous. Le tableau vous demande d’être un peu comme lui-même : d’adopter l’attitude qu’il aime et de l’appliquer à votre vie. » Et la leçon à tirer de tout cela ? Le tableau offre une remède à la « maladie » suivante : « La vie est ailleurs, j’ai un désir de grandeur mal placé. »
Un peu plus loin dans la même Galerie d’Honneur, à la place – effectivement – d’honneur qui lui convient : La ronde de nuit de Rembrandt. Autre tableau qui offre une « thérapie » à une « maladie »’, à savoir : « Je ne supporte pas les endroits pleins de monde ; j’aimerais que cette salle soit moins encombrée. » Pour être pleine de monde, en effet, cette salle l’est. Pour qui ne prend pas l’audioguide et a besoin de lire le texte, il doit être difficile, voire impossible, d’y accéder, tellement les gens se pressent autour. Et le ‘remède’ ? «(…) Nous sommes ici (…) dans une foule, mais sans but collectif. Ceux dans le tableau sont ce que nous devrions être, une bande de copains, une véritable équipe (…). Mais étrangement, cette peinture nous montre aussi la solitude, car elle nous raconte ce qu’il nous manque quand nous nous sentons seuls. Et savoir ce que notre solitude cache est le premier pas pour en adoucir la douleur. »
Assez d’exemples. Vous saisissez l’idée. L’exposition et la ‘thérapie’ en question sont loin d’être ordinaires. Ne serait-ce que l’un des organisateurs en est Alain de Botton, philosophe britannique d’origine suisse et auteur de best-sellers comme Comment Proust peut changer votre vie, Petite philosophie de l'amour,L'architecture du bonheur, ouPetit guide des religions à l'usage des mécréants, pour ne nommer que quelques titres. Son complice pour cette exposition est le philosophe et historien d’art John Armstrong, lui-même auteur de plusieurs livres (Love, Life, Goethe, ou In Search of Civilization, Life Lessons from Nietsche etComment apprivoiser l’argent). Armstrong, Ecossais vivant en Australie, est co-auteur du livre Art as Therapy (L’art comme thérapie - modification minuscule par rapport au titre de l’exposition, mais grande différence de signification).
Cette exposition – ou plutôt cette réinterprétation des œuvres qui sont là de toutes façons – veut nous montrer l’art sous un jour différent, afin d’en tirer des leçons pour notre vie de tous les jours. Iconoclaste ? Bien entendu, comme tout ce que fait Alain de Botton. Sujet à controverse ? Pour sûr. Mais il souligne aussi que, autrefois, l’art avait bel et bien un but pratique. Dans sa présentation, il nous montre une affiche de propagande nazie , avec Hitler en héros au premier plan. De la propagande ? Certes, « pour le mal ». Mail il y eut aussi, soutient-il, de la propagande « pour le bien ». Et il nous montre, entre autres, des dessins (fin 16e siècle) illustrant des leçons de morale autour de l’argent : « la pauvreté se porte plus légèrement que la richesse » (il est plus facile de se bien se conduire si on est pauvre que si on est riche), « des parents pauvres rencontrant leurs enfants riches » (il faut savoir être prévoyant et ne pas gâter ses enfants en leur donnant tout ce que l’on possède).
Ce n’est pas par hasard qu’on trouve là des thèmes chers à De Botton, qu’il propage tout au long de son œuvre, qu’elle soit écrite, multimédiale – ou sous forme de la School of Life, « école »de la vie ouverte à Londres, puis à Melbourne, au Brésil et qui vient d’ouvrir deux « succursales » en Europe, à Amsterdam et à Paris (28, rue Pétrelle, 75009).
Ce n’est pas par hasard qu’on trouve là des thèmes chers à De Botton, qu’il propage tout au long de son œuvre, qu’elle soit écrite, multimédiale – ou sous forme de la School of Life, « école »de la vie ouverte à Londres, puis à Melbourne, au Brésil et qui vient d’ouvrir deux « succursales » en Europe, à Amsterdam et à Paris (28, rue Pétrelle, 75009).
Ce n’est pas par hasard non plus que l’inauguration officielle de laSchool of Life Amsterdam s’est faite au même moment que le vernissage au Rijksmuseum. L’ambiance, certes, fut très différente – même pour les présentations à la presse. Si celle du « Rijks » était suivie par des journalistes de tous bords, dont beaucoup de critiques d’art, l’ouverture de la « School of Life » attirait une foule très « tendance », où l’on notait beaucoup de jeunes gens au jeans (trop) serrés, aux chaussures jaunes (trop) pointues, à la chemise blanche portée sur le pantalon et à la barbe de deux-trois jours. Et beaucoup de jeunes femmes habillées de noir, longues, longilignes, aux jambes qui n’en finissaient pas au-dessous des jupes ultra-courtes et au-dessus des talons aiguille. De Botton et Armstrong contrastaient heureusement dans leur costume classique – Armstrong modeste, à l’arrière-plan, De Botton omniprésent, souriant, volant d’un groupe à l’autre, prêt à répondre à toutes les questions – même celles mettant en question le concept même de sa School of Life.
Et c’est vrai qu’il serait facile d’être cynique. Car les titres des cours, pardon, des « classes » (tous les titres sont en anglais, même si les cours sont donnés dans la langue du pays), « Comment être dans une relation (ou non) », « Comment améliorer vos conversations », « Comment se faire moins de soucis d’argent » permettent de se poser des tas de questions. Qu’y apprend-on, au juste ? « tout ce qu'on n'a pas appris à l'école. A être heureux, à faire durer l’amour ou encore à réaliser son potentiel. » dit le site du siège parisien, ouvert depuis fort peu également. Mais encore ?
Les enseignants (en majorité des philosophes, mais aussi, par exemple, des économistes ou des experts en organisation) promettent d’éclairer tous les problèmes de la vie quotidienne à l’aide de la philosophie, de la psychologie, mais aussi de l’économie par exemple – le tout sans dogmatisme, sans « l’optimisme à l’américaine », mais avec légèreté et aussi du sérieux. Vaste programme.
Les cours sont soutenus, pourrait-on dire, par les livres, des petits volumes genre « guide pratique »(« How To… ») ou bien genre « Que sais-je ? », mais plus jolis, et des gadgets divers et variés, comme les carnets de notes pourvus d’une petite introduction à l’un des grands philosophes, de « bougies utopiques », d’aphorismes distribués généreusement, du genre « la preuve d’une bonne éducation : l’enfant n’a aucun désir de devenir célèbre », ou encore : « N’interrompez jamais votre ennemi quand il est en train de commettre une erreur ».
Il serait facile d’y voir le résultat d’un service de marketing extrêmement bien huilée. Il serait facile aussi de critiquer le système de franchising, qui fait que « Londres » tient tout fermement en main sans laisser aucune possibilité d’adaptation au pays – ce qui ne rend pas la vie des représentants « locaux » plus facile. Il serait encore facile de dénoncer le côté « secte ».
Il serait facile d’y voir le résultat d’un service de marketing extrêmement bien huilée. Il serait facile aussi de critiquer le système de franchising, qui fait que « Londres » tient tout fermement en main sans laisser aucune possibilité d’adaptation au pays – ce qui ne rend pas la vie des représentants « locaux » plus facile. Il serait encore facile de dénoncer le côté « secte ».
D’un autre côté, notamment l’école de Londres a (eu) des invités intéressants : Ariane Huffington, Richard Hytner de Saatchi & Saatchi, par exemple. Et il y l’enthousiasme, la générosité même, de ceux qui enseignent et qui organisent. « Si on voulait gagner de l’argent, on vendrait des hamburgers », ne se lassent-ils pas de répéter. (En attendant, les livres d’Alain de Botton se vendent comme des petits pains, mais ça, c’est une autre histoire.) Et notamment les cours de l’école de Londres ont enchanté des dizaines de milliers « d’étudiants ».
Laissons-leur donc le bénéfice du doute et allons-y voir de plus près un jour ou l’autre. Et ce qu’il faut très certainement aller voir, c’est l’exposition auRijksmuseum. Ne serait-ce que parce que tout « prétexte »est bon pour aller (re-) visiter ce très beau musée. Et comme prétexte, on pourrait en trouver de plus mauvais… L'exposition dure jusqu'au 7 septembre. Vous avez tout l'été...
No comments:
Post a Comment